Il y a une idée perçante qui fait mal : l’humain a développé la capacité malsaine à être un parasite. Pas seulement les grandes multinationales, ou les méchants de ce monde… ce serait trop simple. Nous tous qui « faisons de notre mieux » pour vivre honnêtement contribuons sans nous en rendre compte à un mode d’existence qui prend plus qu’il ne redonne.

Nous sommes sortis de l’équilibre naturel. Quelque chose en nous ne se sent plus « faire parti de… ».

Comme je l’ai écrit dans un précédent article « La peur du Vivant », comprendre la racine traumatique de cette déviance et engager individuellement le chemin, nécessairement long et progressif de « réparation » interne, est indispensable si l’on veut sortir de cette situation.

La propriété du vivant est ce qu’on nomme en physique « néguentropie » : capacité à augmenter le degré d’ordre au sein du désordre. Dans le monde minéral, les molécules complexes ont tendance à se désagréger pour former des molécules plus simples, libérant l’énergie qui maintenaient reliées entre eux les atomes qui les constituent. C’est ainsi que l’érosion des roches se fait sous l’action de l’eau, que les montagnes deviennent plaines, que le sel se dilue dans l’eau… et que de la même manière, à l’échelle des temps astrophysiques, l’univers, les planètes, ont tendance à se « diluer » pour aller vers un état plus homogène et moins complexe. C’est ce que nous dit la physique.

Le vivant « surfe » sur cette vague et a la capacité, à l’inverse, de fixer l’énergie solaire par les plantes, d’assembler les matières minérales simples entre elles (Carbone, Oxygène, Hydrogène, Azote… etc) pour former des molécules organiques incroyablement complexes, chaînes carbonées aux structures spatiales repliées, formant des véritables fourneaux d’alchimie où s’assemblent encore d’autres molécules, s’échangent avec une précision atomique le moindre flux d’énergie pour constituer des structures encore plus complexes qui font les cellules du vivant, avec leurs compartiments, les organes avec leurs fonctions, les organismes avec leur autonomie et leurs interactions folles, dont l’apothéose est la forêt primaire, imbrication permanente d’organismes qui ne font qu’enrichir à chaque cycle de vie la richesse moléculaire collective, qui constituent un humus de plusieurs mètres contenant la plus grande concentration d’êtres vivants et de matière organique que l’on puisse imaginer, dans lequel les arbres se dressent et flirtent avec le ciel, en interaction avec tous les règnes du vivant.

Nous faisons partie de ce vivant tumultueux qui part essence redonne plus qu’il ne reçoit, par lequel le degré d’ordre, de complexité, de variété ne fait qu’augmenter. Nous sommes des êtres fondamentalement créatifs et généreux.

Pourtant nous avons créé une civilisation qui puise dans les sols les matières organiques (pétrole, charbon, gaz) et les matières minérales (métaux, lithium, terres rares), qui écrase le vivant pour obtenir à court terme des rendement supérieurs… une société qui vide le sol et épuise le vivant au lieu de l’enrichir à chacune de ces actions… Une grosse bête mécanique qui se dresse sur la terre comme un énorme parasite… dont nous faisons partie. Un « superorganisme » constitué « d’humains -hybridés-avec-le-métal ».. comme le dit Pablo Servigne.

Et en chacun de nous, que se passe-t-il ? Il y a cette forêt primaire qui se retranche de plus en plus, qui survit tant bien que mal… Mais je fais le pari que en chaque individu il y a une parcelle de forêt intacte, un endroit caché qui regarde le désastre avec méfiance, et certainement avec peur, tristesse, dépit… je fais le pari que s’il n’y avait cette étincelle quelque part, nous serions simplement mort. Je parts volontairement du principe qu’il n’y a pas d’humain qui soit entièrement devenu machine, qui ne soit rien d’autre qu’un prédateur avide, qu’un sale parasite du vivant.

Et pourtant cette image d’être en grande partie, chacun d’entre nous, de vulgaire parasites égocentrés, cyniques, exploiteurs… dangereux… et dont il ne reste qu’une toute petite partie sauvage, qui regarde l’autre depuis la lisière de la forêt, armée de sarbacanes et dissimulée sous des maquillages de guerre… me semble de plus en plus valide au fur et à mesure que j’avance dans mon exploration de l’être humain. Exploration de moi-même d’abord, avant celle que je mène avec les autres dans mes accompagnements.

Plus je visite intérieurement mes fonctionnements, plus je m’approche de ce qui est innocent en moi, plus je prend conscience que cette part de moi se méfie énormément du reste de ce qui me constitue : car il y a de la violence, de la manipulation, de la volonté d’exploitation, de la dureté envers la vie… de l’avidité.

Cette avidité n’est pas que tournée vers l’extérieur, c’est là le plus triste. Nous ne sommes pas des salauds ou des parasites que pour les autres. Réaliser combien nous sommes aptes à manipuler (inconsciemment bien sûr) notre environnement même le plus proche, même le plus aimé est déjà une prise de conscience douloureuse ! Si nous grappillons chez l’autre de l’affection, du temps, de l’innocence, si nous le cassons et le rabaissons d’un petit mot l’air de rien… c’est que quelque chose en nous va bien mal. Quand on se penche sur les interactions entre individus, dans une famille, dans un couple, on s’aperçoit que chacun est le bourreau, le manipulateur, le grand exploiteur cynique de l’autre… c’est assez horrifiant ! Nous avons la capacité de tout faire pour tenir l’autre en laisse. Nous pouvons être l’esclavagiste de notre compagne, de nos enfants… de ce qu’il y a de plus précieux. Les nouveaux-nés eux-mêmes sont comme une forêt primaire que nous ne sommes pas forcément préparés à vraiment respecter lorsque nous sommes de jeunes parents.

Je part du principe que nous avons en nous cet « enfant intérieur » intact, source de vie… et que nous agissons avec lui comme nous pouvons le faire avec nos proches, avec les nourrissons, avec la terre, avec les forêts vivantes… avec avidité. Nous « utilisons ». Nous nous utilisons.

Il y a cette folie rivée dans l’homo modernicus, schizophrénie commune, où certaines de nos personnalités sont d’une dureté incroyable avec nous-mêmes, avec la vie simplement. Nous nous malmenons de multiples façons… qui reviennent toutes à vouloir « faire quelque chose » de la vie qui est en nous. Utiliser nos ressources pour les mettre à l’extérieur, pour atteindre autre chose… exactement comme de puiser dans les ressources du sol pour construire des fusées et s’extraire de la planète. Nous exploiter au maximum pour s’extraire de nous-mêmes.

Je trouve que cela est la vraie racine de la violence, de toute violence… Je peux être un vampire pour moi-même, prêt à détourner ma sève précieuse pour obtenir gloire, reconnaissance, pouvoir, être hors du lot, me différencier ! … Alors l’ « enfant intérieur » a peur, il vit dans ses retranchements mais n’a pas d’issue… comme les forêts primaires n’ont pas d’autre planète où aller. Comment puis-je prétendre sauver la planète, le climat, les forêts sensibles, le monde sauvage, la vie, si je ne réapprends pas à veiller sur ma forêt intérieure ?

Dompter ses propres dragons a, de ce point de vue, certainement été de tous temps la quête la plus importante et difficile de l’humain. Même en pleine Amazonie, un sorcier lors de ses initiations est régulièrement tenté de se servir de sa connexion aux esprits pour exercer son pouvoir sur les autres. Pour rester gardien de la vie au lieu de l’exploiter cela demande la détermination de choisir… et de réaffirmer ce choix. L’humain a la faculté d’exploiter. Il est possible que cela existait également chez l’homme paléothique, que ce ne soit pas une pure déviance de notre « société ». Aujourd’hui, nos moyens technologiques permettent à ce pouvoir d’être juste extraordinairement débridé… et dangereux.

Veiller sur la vie est un choix, mais surtout un chemin.

La profonde dichotomie qui peut s’être installé en nous a une histoire. Personnelle et collective. S’il y a un parasite et une zone d’innocence qui luttent en nous comme les multinationales luttent contre la forêt, c’est qu’il y a des raisons.

Nous sommes un tout. La grande erreur serait de penser qu’il faut « enlever le parasite »… qui, transposé à la société donne : couper des têtes. L’avidité qui est dans nos vampires intérieurs est fondée sur des blessures profondes qui ont besoin d’être pansées, retrouvées, veillées en conscience. Le grand défi du travail intérieur est de faire le pari que ces « parts dangereuses de nous » ne sont pas des ennemis, même si de toute évidence, à cause d’elles nous nourrissons des comportement nocifs pour nous-mêmes, nos proches, la planète ! Même si nous tournons en rond malgré nos efforts de changement sincère ! Même si elles possèdent apparemment la capacité à saboter puissamment ce qu’il y a de meilleur en nous, à nous faire trébucher et à nous faire sans cesse retomber dans nos même sillons… et que nous sommes partiellement « mécanisés » à cause d’elles.

Le grand défi est de décider que tous ces modes pathologiques sont avant tout des gardiens qui font de leur mieux pour maintenir notre intégrité… ne pas s’en séparer, mais aller avec détermination à leur rencontre, les comprendre, les embrasser, les remettre en conscience, les relier de nouveau à la vie…. les remettre au service de la vie. Cela tient de l’esprit chevaleresque. Aller au devant du dragon non pour l’abattre, mais pour le chevaucher, lui rappeler sa nature de gardien au service de la vie…. c’est un chemin de conscience où l’on reprend la posture adulte par rapport à ce qui nous anime inconsciemment.

C’est, de mon point de vue, et de la pratique que ma femme Anne Ena partageons, quelque chose qui ne peut se faire uniquement par la compréhension mentale. Il faut retrouver le corps. C’est là que tout se passe. C’est notre Terre individuelle, c’est là que se trouvent nos grosses bêtes avides, mais aussi nos forêts vierges et nos ressources disponibles pour ouvrir de nouveaux chemins. Nous devons donc réapprendre le langage de ce corps pour rencontrer ses motivations profondes, son organisation secrète, ses ressources insoupçonnées.

De mon vécu, ce langage n’est pas fait que de mots, c’est un ensemble indissociable de sensation, d’émotion, d’imaginaire… le langage du corps est plus une expérience qu’un concept, c’est quelque chose qui émerge lorsque l’on remet sa conscience dans le corps, avec curiosité et que l’on s’autorise à éprouver pleinement. C’est pour trouver cette relation au corps que nous proposons dans nos stages de danser : quand je danse avec mon attention dirigée vers mes sensations, je plonge dans un univers interne que je ne pouvais pas envisager mentalement : sur mes sensations et mes gestes émergent des émotions, des images, je peux me retrouver dans la peau d’une montagne, d’un arbre ou d’un personnage, me sentir habillé de ses vêtements, ressentir ses émotions, sa façon de penser, de percevoir le monde, comprendre ses motivations. Le « langage » avec lequel je communique avec mon intériorité tient plus du conte que de l’analyse. La forêt intérieure rouvre ses portes, ceux qui l’habitent se montrent… même mes « parasites intérieurs » se révèlent et montrent une autre face d’eux-mêmes. Je retrouve du respect pour eux, je peux les honorer, et progressivement ils redeviennent des alliés.

Lorsque je danse et que ma poésie s’exprime, de nouvelles voies émergent, de nouveaux possibles m’apparaissent, je peux poser des choix différents pour ma vie, ma famille, la société.

De notre pratique d’accompagnants, nous savons que ce voyage intérieur est accessible à tous. Il a besoin d’être réappris, repratiqué. Il est toujours vecteur de réconciliation interne.

Évidemment, je rêve d’une société où il soit naturel pour chacun de commencer par danser et laisser sa poésie s’exprimer avant n’importe quelle prise de décision… et imagine que lorsque ce sera le cas il deviendra impossible de décider d’épuiser le vivant et de ne pas penser en termes d’intégrité collective.

À vos marques ! Prêts ? Dansez !

« Redevenir gardien de la Vie »

Par Nicolas Bernard
Les Neuf Souffles

Auteur de « Le Corps au cœur de l’Homme », éditions le Souffle d’Or.

Co-auteur des « Cartes du Corps » et co-fondateur des « Neuf Souffles », avec sa femme, Anne Ena BERNARD comme lui dédiée à retrouver le lien à l’intelligence de vie en nous. Ils animent ensemble des stages visant à remettre au service de la vie nos modes compulsifs de fonctionnement, dont un en particulier intitulé « Le pouvoir transformateur du Phoenix »

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L'auteur :

Nicolas Bernard

Nicolas & Anne-Ena enseignent la danse libre depuis plus de 20 ans, au Pays Basque. Une thérapie et un dialogue avec son corps, pour se redécouvrir dans l’équilibre.

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